Jusqu’au bombardement de Gush Katif [1]hier et lundi, l’optimisme augmentait en Israël. Sharon parlait d’une percée historique dans les relations avec les Palestiniens.
Les policiers palestiniens en armes sont à nouveau déployés dans la Bande de Gaza, les roquettes Qassam ne tombent pas sur Sderot [2], on parle d’une rencontre entre Abu Mazen et Sharon. Les Israéliens parlent de faire des gestes et de libérer 900 prisonniers, Perès parle de relancer l’économie à Gaza et Mofaz et Dahlan [3]se sont rencontrés deux fois déjà. Le sentiment général est que bien qu’il y ait deux fers au feu et qu il y ait des blancs dans les discussions entre responsables de la sécurité, le simple fait que les discussions existent prouve qu’il y a une amélioration.
Il n’y a rien de mal à vouloir être optimiste, surtout si cet optimisme relève de la volonté de nombreux Israéliens de sortir d’un état de guerre et d’entrer dans une phase de négociations politiques pour parvenir à la paix.
Le problème se pose quand l’optimisme devient anesthésique et quand les optimistes se contentent de paroles et laissent faire les bulldozers. Les policiers, l’amélioration de l’économie, la vie rendue plus facile, les multiples réunions de nombreux personnages importants- et, mis à part qu’on oublie que l’optimisme était largement plus grand en 1994, voilà une situation qu’on a déjà vue, quand on a lancé les Accords d’Oslo.
Quand on lit les centaines de pages de termes légaux, l’essence de l’accord était simple : l’OLP arrêtait immédiatement ce qu’on appelait des actes de violence et le terrorisme, l’Autorité palestinienne travaillait à empêcher la violence et le terrorisme de toutes les organisations palestiniennes et en échange Israël allégeait graduellement l’occupation.
Après tout, les dictionnaires des vainqueurs et de ceux qui possèdent la puissance militaire ne définissent pas l’occupation comme du ‘terrorisme ’ et de la ‘violence’. L’occupation -c’est à dire le contrôle sur la vie d’un autre peuple, sur sa terre, l’utilisation libérale de ses ressources naturelles et en eau, le contrôle total de sa liberté de mouvement, c’est un arrangement, dans les dictionnaires des vainqueurs.
La réponse à l’occupation est par conséquent un obstacle à la paix. On avait demandé aux Palestiniens de se retenir et de vivre avec l’occupation lentement et graduellement « réduite ». Un calendrier fut même établi pour cette gradation, mais il n’était pas contraignant pour Israël. De plus, aucune limite n’était déterminée pour ce qui était de la « réduction » de l’occupation.
Ainsi à l’aube de la deuxième Intifada, l’occupation était « réduite » dans seulement 40% de la Cisjordanie et en Israël cela n’était pas vu comme une rupture de l’accord. Toutes les manifestations de la domination déjà mentionnée et bien d’autres restaient telles qu’avant 1994. Certaines étaient même exacerbées et accélérées, comme l’expansion des colonies et le quasi doublement du nombre de colons, ou le quota d’eau, ou les restrictions de mouvement. Ca n’était jamais présenté comme une rupture de l’accord. Mais le plus petit clip stupide et agressif à la télé palestinienne était lui dénoncé comme une rupture de l’accord tout comme les attaques terroristes par le Hamas , qui étaient pourtant destinées à l’Autorité Palestinienne autant qu’à Israël, ou plus encore le jet de caillou qui représente ce qu’on appelle « la deuxième Intifada ».
Le langage victorieux des dictionnaires des superpuissances militaires a préparé le terrain à l’offensive israélienne commencée en septembre 2000, et son escalade très calculée, qui a entraîné une escalade palestinienne.
A l’issue de la première Intifada, les Palestiniens avaient l’impression d’avoir gagné en ayant imposé un changement de certaines des règles du jeu. En 1994 beaucoup de gens voulaient croire -et le camp de la paix israélien parmi eux- qu’Israël comprenait que c’est l’élimination et non la « réduction » de l’occupation qui est la clé de la solution. Cette fois ci la défaite est amère. On n’ose pas se laisser tenter par les déclarations du Hamas qui se vante que le fameux retrait des forces de défense israéliennes de la Bande de Gaza est une victoire de la lutte armée des Palestiniens.
C’est vrai, il ne faut pas sous estimer l’importance du rapatriement des milliers de colons de Gaza, dont la présence et la défense [4], est une torture continuelle pour les Palestiniens. Mais le test demeure ce qui se passe en Cisjordanie et ce qui s’y passe ressemble à un échec colossal du combat politique et populaire palestinien, de la lutte armée palestinienne, des nations européennes qui croient aux décisions internationales et de ceux, dans le camp de la paix israélien, qui avaient vraiment cru à la solution de deux états.
En Cisjordanie ce n’est pas l’occupation mais le concept d’ « occupation » qui a été réduit pendant les années Oslo. « Occupé », c’est tout ce qui se trouve défini comme zone A et B, c’est à dire 40 % de la Cisjordanie, tandis que la zone C s’est ancrée dans la conscience israélienne comme « disputée » et non occupée. Et Israël et ses bulldozers la rendent, presque partout, chaque jour, moins disputée, plus israélienne.
Pour ceux qui dans les deux peuples aiment la paix, la possibilité de réussite a été et reste la capacité des Palestiniens en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, comme une seule entité, de se construire un avenir juste et indépendant, et de ne pas vivre éparpillés dans des réserves indiennes. Pendant ce temps, entre une manifestation de masse contre les colonies et les discours optimistes en faveur du désengagement, la création des réserves en Cisjordanie se poursuit sans opposition.